Hello everyone and welcome to Literary Revelations. We are thrilled to bring you an interview with Fulvio Caccia, a contemporary Italian poet, novelist and essayist. The interview was conducted in French by our wonderful collaborator Virginia Mateias. We hope you enjoy this gorgeous feature.
« La poésie n’est pas un exercice narcissique, mais un instrument de la connaissance de la pluralité de notre être »
Fulvio Caccia
V.M : Qu’est-ce qui vous a initialement inspiré à vous consacrer à la poésie en tant que moyen d’expression créative?
F.C : 1. Je pratique plusieurs genres littéraires, mais la poésie est la première forme que j’ai utilisée. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elle est la forme élémentaire d’où toutes les autres procèdent. La poésie permet l’expression du moi sans médiation, sans l’artifice d’une narration ou d’une contextualisation. Le rapport à l’imaginaire se fait directement tel un sismographe qui enregistre les vibrations de notre subjectivité. Ce qui lui confère sa puissance au sens propre et figuré. C’est de cet infracturable noyau de la nuit intérieure que s’élance la parole comme un geyser. Cette nuit, c’est le « non-poème » comme l’aurait nommé mon ami, le poète Gaston Miron. Il est ce bloc d’obscurité qu’il faut frotter contre la pierre de sa propre singularité pour faire advenir l’étincelle de la parole.
V.M : Si vous aviez la capacité de transporter vos lecteurs dans le monde de l’un de vos poèmes, quel poème choisiriez-vous et pourquoi ?
F.C : De mon recueil « Ti voglio bene » paru cette année auprès des éditions « La feuille de thé », je retiendrai le dernier poème. Pourquoi ? Parce qu’il conclut le combat amoureux, thème et fil rouge de cette rapsodie métisse qui fut longtemps le titre de travail de ce long chant. Il en constitue l’apothéose. Le « non-poème » et le « poème » s’affrontent au sens propre et figuré. De cette lutte, de ce corps à corps symbolique entre le « je » et le « tu », surgira le Nom du poème enfin advenu, la déclaration d’amour et le nom du lecteur qui se sera reconnu dans ce combat contre l’Ange, son double.
V.M : Y a-t-il des thèmes ou des sujets spécifiques que vous explorez fréquemment dans votre poésie?
F.C : Les thèmes récurrents sont scandés par les titres de mes recueils. Dans Irpinia, j’explorais mon rapport à la mémoire de l’immigration. Car Irpinia renvoie autant à l’arrière-pays de Naples où est né mon père qu’au navire qui nous a conduit jusqu’au Canada à l’orée des années 60.
Scirocco, nom de ce vent du Sahara, évoque l’impossible retour dans la patrie de l’enfance, le paradis perdu. Aknos, qui m’a valu le prix du Gouverneur général du Canada en 1994, chante l’imaginaire libéré d’un rapatriement : celui de la mémoire originelle et du temps qui n’est plus chronologique, mais « messianique », mon propre temps qui m’inscrit symboliquement dans ma nouvelle patrie et ma nouvelle famille. La chasse spirituelle convoque un thème antique qui est aussi le madrigal de l’Ars nova : la quête. Italie et autres voyages l’exemplifient. La Péninsule est revisitée non plus comme « pays natal », mais comme figure du voyage initiatique : ce qu’il fut pour nombre de personnalités ! De Montaigne à Freud. Enfin Ti voglio bene vient clore ce cycle en dévoilant le nom de la démarche qui anime tout rapport authentique aux autres comme à la littérature : l’amour.
En fait ces thèmes n’ont cessé de se croiser et de se recroiser dans mon travail poétique depuis quarante ans.
V.M : Avez-vous des rituels ou des habitudes spécifiques qui vous aident à entrer dans un état d’esprit créatif ?
F.C : Je n’ai pas de rituels particuliers ou du moins consciemment. Les pages manuscrites s’accumulent et finissent par constituer une masse critique à partir de laquelle le déclic se fait. Ce déclic peut prendre du temps et provient de la répétition.
V.M : Si vous pouviez avoir une conversation avec une figure historique à travers votre poésie, qui choisiriez-vous et que lui demanderiez-vous ?
F.C : Dante sans doute peut-être aussi Rabelais. Ces pionniers anticipent de ce qui deviendra la poésie italienne pour le premier et le roman pour le second, ils ont une surconscience du nouveau rapport au langage qu’ils sont en train d’instiller et que leur époque leur impose. Ce sont déjà nos contemporains. C’est d’ailleurs pourquoi ils marqueront leur langue de leur sceau. On parlera de la langue de Dante, mais aussi de la langue de Rabelais même dans ce cas Molière lui aura damé le pion. La question que je leur poserai c’est précisément celle-là : aviez-vous conscience de votre modernité ? Mais je connais déjà leur réponse !
V.M : Pouvez-vous partager un exemple d’une expérience particulièrement mémorable ou difficile qui a influencé votre poésie ?
F.C : Une expérience mémorable demeure la mort de mes parents. Ils sont décédés à un âge relativement jeune, laissant la famille que nous étions alors désemparée. Je leur ai rendu hommage dans plusieurs de mes poèmes… Soudain, ma mère dans ce terrain vague à Florence/ au centre du vortex et des enfants qui jouent/Que fait-elle sur sa petite chaise de bois ? /Pourquoi ne lève-t-elle pas la tête pour me regarder ? /Silence ! Elle lit les lettres de son frère/Elle lit les lettres d’Amérique ! /Que racontent-elles ? Dis-moi/Que chuchotent ces mots, cailloux semés tels des bonbons sur le chemin du Songe ? /Que voit-elle donc entre les lignes du récit tant de fois imité ? /Tant de fois exulté/Le grand voyage vers la fortune ? La déroute du mensonge ? /Ah ! Ces illusions qui incendient les coeurs, embrasent les émotions/Partir, recommencer comme si de rien n’était Rien. /Rien. Ce n’est rien/.
V.M : Quel rôle pensez-vous que la vulnérabilité joue dans la création et la réception de la poésie ?
F.C : L’expression de la vulnérabilité dans la création poétique est également la condition nécessaire de sa réception. L’une ne va pas sans l’autre. Elle constitue l’autre facette de ce « faire » qu’est la poésie. Ce n’est pas un hasard si dans le « Vulgaire illustre », son art poétique, Dante choisit la figure la plus vulnérable qui soit : le nouveau-né. C’est la langue populaire qu’il boit avec le lait de la mère qui deviendra pour le poète la quête par son « dolce stil novo » pour son thème de prédilection : l’amour. Amour de la langue et amour de l’être aimé se complètent ainsi. Dans la foulée du nouveau paradigme chrétien — dont la figure fondatrice est aussi un nouveau-né —, que se déploie le concept de « nouveauté » et ensuite de modernité dont il est le fondateur. Cette notion s’appuie sur la conscience de sa propre vulnérabilité et, plus en amont, de la vulnérabilité de la condition humaine qu’il s’agit d’exprimer. Cet aveu de faiblesse peut cependant paraître intolérable à certains, avides de pouvoir. C’est pourquoi ils auront tendance à vouloir la nier et ne retenir que la force dans leur vocabulaire, affirmant de la sorte leur… faiblesse.
V.M : Avez-vous des conseils pour les poètes aspirants qui cherchent à développer leur art et à trouver leur voix unique ?
F.C : À la manière de Rilke qui le conseilla à un jeune poète, il convient d’être attentif au mouvement de l’âme et le mettre en relation avec l’âme du monde. La poésie n’est pas un exercice narcissique, mais un instrument de la connaissance de la pluralité de notre être. Il faut aller à l’essentiel et « remettre sur le métier », comme le disait Boileau, pour enlever tous les artifices et ne conserver que la voix pure, distincte et claire.
V.M : Pouvez-vous partager des projets ou des collaborations à venir qui vous enthousiasment ?
F.C : La démarche bien comprise d’un écrivain comme de tout bon citoyen implique de marcher sur deux jambes : le personnel et le collectif. Parmi mes projets personnels, notons deux autres manuscrits de poésie terminés. Le premier s’intitule Actualité, il évoque la permutation du temps long de la poésie et du temps court de l’actualité, le second Âme amère, s’ouvre et se conclut par une sextine, forme poétique médiévale, et renvoie par assonance au premier monde de l’amour dont on se détache. Je suis également romancier. Au printemps prochain, je publie La passe, un roman psychologique qui est aussi une enquête policière sur la mémoire et la place que l’on occupe et que l’on permute. La répétition est un autre roman manuscrit sur l’immigration d’Afrique notamment. Enfin il y a les Enfants de l’Algorithme, un roman sur le temps. Enfin j’ai deux essais en préparation sur la littérature et le politique.
Côté initiative publique, j’ai cofondé il y a près de 40 ans à Montréal, le magazine transculturel Viceversa. En France, j’ai fondé et dirigé l’Observatoire de la diversité culturelle dont le site de référence, combats-magazine, continue d’être animé par mes soins. Je préside actuellement Linguafranca, un collectif international d’écrivains, de traducteurs et de chercheurs dédié à la traduction et à la réflexion sur les conditions du nouvel espace numérique. Je suis membre du CA du Pen club français.

Le francais ecrit est superbe.
Je suis d’accord. Une excellente semaine Joseph.
Merci beaucoup pour cette appréciation! Je suis ravie de cette appréciation !